DÉMARCHE ARTISTIQUE
La photographie est pour moi un point de départ pour cheminer vers des émotions conscientes et voulues ? Je flotte et j’attends le moment de percer le miroir de l’eau, puis je plonge.
Mes recherches sur le paysage sont des démarches pour s’approcher de la partie la plus stimulante et vibrante de la nature : sa puissance douce. J’ai commencé des tableaux appelés « portraits de paysage », car je n’utilise que le format portrait, où je mettais en avant à chaque fois un aspect différent de la nature.
Mes dernières séries se sont enfoncées un peu plus loin dans des territoires inconnus jusqu’alors : j’avais toujours cherché à ne pas trop m’éloigner du bord, mais la série des bleues étaient tellement puissantes qu’elle m’a forcé dans mes retranchement. En effet, pour continuer la démarche sur la couleur je devais cueillir des photographies aux couleurs exceptionnelles. J’en ai pris beaucoup mais bien peu on passé la barre : Angèle et la Lune Noire en fond partie.
Cette recherche sur la couleur m’a aussi porté sur les rivages des impressionnistes, les vagues y sont de léger coup de pinceaux, réguliers et horizontaux comme dans un Monet, une passerelle délicieuse entre les deux arts que sont la peinture et la photographie.
La toute dernière série fut l’occasion de chercher où se trouve la limite entre le noir-et-blanc et la couleur : la série appelée Vers l’ouest m’a permis d’approfondir ce que j’avais effleuré pour l’exposition organisée par Jeannie, Jean-Pierre et Frédéric Le Noir, cabinet graphique. J’ai découvert quelque chose de l’ordre de la tragédie dans l’opposition entre le noir et le blanc, tandis que la couleur est plus proche de la comédie pour la douceur de ses transitions et l’humanité qui s’en dégage.
Par ailleurs se sont les parallèles insaisissables quelques fois tangentes quand elles sont au contact des constructions de bords de mer. Les cadrages, la construction des lignes directrices et la composition des couleurs sont choisies pour laisser plus de place à l’imaginaire.
La nature autour de moi a toujours été généreuse, je cherche à produire des œuvres calmes et très souvent silencieuses. Sorties des tumultes quotidiens, mes photographies se rapprochent du sentiment de sérénité, d’un état de méditation . Ayant grandi à la campagne, je n’oublie pas que je fais partie de ce monde, de son équilibre. J’attache une importance au présent, un présent universel. J’ai en tête les artistes qui ont façonné mon regard, mon imaginaire. Le temps que je vais inscrire dans ces photographies doit rechercher à remercier des artistes comme Rembrandt pour ses clair-obscurs, Turner pour ses ambiances lumineuses, Nicolas de Staël autant pour ses couleurs que ses gris, à s’inscrire au plus près de l’instantané de Willy Ronis, de la rigueur de Bernd et Hilda Becher adoucie par les expérimentations de Man Ray, de Sigmar Polke ….
“Autoportrait”
Approchant tranquillement de mes 50 ans, je commence à pouvoir avoir un regard sur ma vie. Depuis mon enfance en Ardèche jusqu’à aujourd’hui à Dieulefit dans la Drôme, certain pourraient penser qu’il n’a quand même pas fait grand chose à part traverser le Rhône mais ça a été un peu plus complexe.
Si je prends les choses depuis le début : conçu au Pays de Galles, né à Besançon d’une famille normande, j’arrive en Ardèche à l’age d’un an dans une ferme délabrée. Mon père, d’origines paysanne, rêvait d’élever des chèvres, ma mère, d’origine citadine, s’est rapidement sentie mal dans ce hameau perdu “franc en bas dans le trou”, comme disaient nos voisins pour indiquer à nos rares visiteurs, la direction d’où on habitait. Ce hameau s’appelait Chazal. Ce fut un concentré de ce qui se fait de mieux et de pire pour un enfant : à la fois un immense territoire sauvage à explorer et un huis-clos pesant.
La vie a continué, l’école, le travail à la ferme jusqu’à mon bac, je voulais être vétérinaire, normal, je connaissais plus les animaux que les humains, mais j’ai fait une overdose de math et j’ai eu mon bac C grâce à l’anglais. Mon père m’a dit “pourquoi tu ne fais pas des études d’anglais ?” et j’ai répondu “oui, pourquoi pas.”
Je suis donc parti à Grenoble étudier : ce fut une révélation, enfin la liberté que j’avais tant attendue, ces petits moments que j’avais auparavant, ces moments volés au quotidien du travail devinrent la norme.
Je fus tellement heureux, j’ai toujours été très solitaire et le suis resté, mais là j’étais au milieu d’une foule. Je parlais déjà assez bien l’anglais, j’ai adoré découvrir la littérature et l’histoire des civilisations. Très rapidement j’ai fait la connaissance d’un ami précieux, qui est toujours actuellement mon plus ancien ami et est d’ailleurs plus un frère.
Ce fut vraiment délicieux pendant mes quatre années d’études, mes résultats n’étaient pas vraiment ma motivation première mais j’aimais beaucoup cette langue, elle me permettait d’avoir la sensation d’être dans un monde très loin de ce que j’avais vécu avant.
Ma dernière année fut par contre très différente des trois premières : je commençais ma maitrise sur une idée un peu vague de comparer deux ouvrages étudié : Robinson Crusoé et Huckleberry Finn, en partant de l’idée simple de comparer l’île et le radeau.
Ce fut la première fois de ma vie où je pris un aussi grand plaisir à chercher, à trouver, à assembler et pour finir à écrire un travail totalement personnel, récompensé par une mention très-bien. Quel bonheur ! Je viens d’ailleurs de la publier, en anglais, sous le titre “Robinson Crusoe and Huckleberry Finn, shamanic initiations ?” en vente ici.
L’année suivante, je partais comme assistant de français en banlieue ouest de Londres, pour de nouvelles aventures : j’ai eu un peu de mal à rentrer dans le moule du salarié mais j’ai fini par m’y accommoder. Au bout de six mois, je quittais ce travail pour aller m’essayer au théâtre, ce ne fut pas une réussite mais ce fut un avant goût pour plus tard. Je vivais à l’époque à Paris avec une femme dans une relation complexe et douloureuse, mais avec des moments très beau qui se firent de plus en plus rare. Nous habitions à la Goutte d’Or : encore un nouveau monde, des gens de partout, des odeurs inconnues, des saveurs inimaginées et Paris tout autour où je marchais pendant des heures.
Je fus serveur quelques mois en face du Moulin Rouge, puis homme à tout faire dans une petite entreprise de décor et de faire-parts pour la riche communauté séfarade de Paris, encore un monde inconnu. Je commençais à travailler le bois avec plaisir et réussite, je passais régulièrement à proximité d’un atelier de construction de décor de théâtre au nord de Paris et un jour je fit le détour.
Peu de temps après je commençais dans ce nouvel univers : j’ai immédiatement adoré, pourtant je me souviens que c’était bête : j’avais à agrafer des lattes de bois sur des sangles pour faire des sortes de persiennes, mais c’était pour l’opéra Don Quichotte.
J’avais enfin trouvé ce que j’allais faire. C’était parfait pour moi : juste à mi chemin entre le rêve et la réalité, la matière et l’imaginaire. Intermittent, j’avais une grande liberté, du temps, suffisamment d’argent, je pouvais enfin avoir l’insouciance vitale.
